Dans dix ans, Grand-Lahou aura peut-être complètement disparu. Et ses habitants ont beau accuser le réchauffement climatique ou les autorités, rien n'y fait: année après année, l'océan continue d'avancer et d'engloutir l'ancien comptoir colonial ivoirien.
Il y a encore vingt ans, près d'un kilomètre de plage et de cocotiers séparait la mer du centre de Grand-Lahou. Elle est aujourd'hui noyée, victime de l'érosion marine et de la montée des eaux du golfe de Guinée.
"Les blancs (les colons) nous avaient prévenus que si les cocotiers disparaissaient, la mer prendrait notre ville. Nous n'y avions pas cru", se rappelle Maïga, un immigré malien de 70 ans arrivé en 1962 à Lahou.
La mer a rejoint la ville et englouti la boulangerie qu'il y tenait, et dont on ne distingue plus aujourd'hui que le haut des murs entre deux vagues qui continuent d'abattre le vieux "Lahou", ancien comptoir où des missionnaires blancs débarquèrent en 1920 pour évangéliser l'ouest ivoirien.
Au milieu des eaux, des restes de fondations ou de murs attendent d'être complètement submergés. Rien n'est épargné, même les tombes des ancêtres, dans une région où le culte des morts est une religion à part entière.
"C'est une grande désolation de voir le cimetière de nos parents partir dans la mer", lance, très amer, Arsène Assouan Usher, le maire de Grand-Lahou, ancien ministre ivoirien des Affaires étrangères.
Bâtie sur une mince bande de terre entre océan et lagune, la ville, coincée, disparaît peu à peu sous les eaux. En dix ans, elle a perdu les trois quarts de ses 20.000 habitants, partis s'établir à 15 km à l'intérieur des terres, au "Nouveau Lahou".
Selon les experts, elle pourrait avoir totalement disparue d'ici dix ans.
"Le réchauffement de la planète fait déjà des désastres. La montée de la mer menace dangereusement nos côtes par l'érosion, comme à Grand-Lahou", déplorait en juin le ministre ivoirien de l'Environnement, Daniel Aka Ahizi.
Selon une étude de l'université américaine de Columbia, l'élévation du niveau des mers sur les côtes d'Afrique de l'Ouest pourrait atteindre plus de 50 centimètres d'ici la fin du siècle.
Le Groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat (Giec) note de son côté que la montée des eaux du Golfe de Guinée pourrait coûter aux pays côtiers près de 15% de leur produit intérieur brut (PIB). Mais aussi qu'une mise en oeuvre de mesures préventives n'en coûterait que 5 à 10%.
De telles mesures pourraient être prises à Grand-Lahou, explique Kopieu Gouganou, responsable d'une cellule gouvernementale de réflexion sur l'espace lagunaire, "mais cela est très coûteux, surtout en période de crise".
"Lahou est laissée pour compte!", s'indigne Dégny, un habitant de 30 ans, qui accuse l'Etat d'être le principal responsable de la situation.
"Si la ville disparaît, c'est un pan entier de l'histoire du pays qui part avec", prévient M. Assouan, qui réclame une mobilisation nationale pour sauver l'ancien comptoir.
Laissés à leur triste sort, plusieurs milliers de récalcitrants refusent pourtant toujours la fatalité. En mai dernier, des dizaines de jeunes habitants ont ainsi bloqué les routes voisines en criant: "Nous pas bouger!".
Les autorités conseillent de leur côté aux 5.000 habitants qui sont restés "de déménager vers l'autre rive" pour éviter tout risque, et notamment celui, potentiellement dramatique, d'un glissement de la bande de terre.
Et l'exode se poursuit vers le "Nouveau Lahou", où les diverses administrations ont déjà commencé à se replier il y a 10 ans.
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